L’administration Trump, les drones et le reste du monde

Crédit photo: theconsul.org

Il est probable que la réglementation concernant les drones se durcisse de plus en plus, en Europe et dans le monde entier. En Europe, vous l’avez déjà peut-être découvert sur Helicomicro, l’EASA a publié des préconisations qui intègrent la limitation de capacités, c’est-à-dire la limitation automatique et informatique de la distance et de la hauteur de vol, et le geofencing, la possibilité d’interdire le vol dans certaines zones. Si cela ne vous dit rien, la séance de rattrapage se trouve ici. Le constructeur DJI poursuit sa politique de limitation de capacités – ce n’est pas nouveau, la fonction est opérationnelle depuis plusieurs années maintenant, couplée à du geofencing. Pour obliger les pilotes à disposer des dernières données de limitation de vol, DJI serre la vis sur les mises à jour. Là-aussi, une séance de rattrapage est ici.

Et aux Etats-Unis ?

Le New York Times a publié un article très intéressant concernant une proposition de réglementation des drones pour le territoire nord-américain. Il se base sur un document de 10 pages que ses journalistes se sont procurés. Il y est proposé de « détecter, identifier, surveiller ou tracer, sans consentement préalable, un aéronef télépiloté pour évaluer sa menace à la sécurité ». Le document préconise de « rediriger, désactiver le contrôle, prendre le contrôle, saisir ou confisquer, sans consentement préalable, un aéronef télépiloté qui constitue une menace à la sécurité ». C’est tout ? Non. Il est aussi proposé d’« utiliser une force raisonnable » pour y parvenir, et de « mener des recherches, des tests, des entrainements et l’évaluation de tout équipement, incluant les composants électroniques » pour déterminer sa capacité à constituer une menace. S’il était adopté, ce texte permettrait par conséquent aux autorités de surveiller, dérouter, abattre, désactiver, confisquer tout appareil soupçonné de menace à la sécurité intérieure. Costaud, ce texte ? Il est tout de même stipulé que le gouvernement est tenu de respecter « la vie privée, les droits et la liberté » dans l’exercice de cette réglementation. Ouf, les citoyens américains peuvent respirer. 

C’est un souci ?

Le document publié par le New York Times se réfère à l’incident du drone qui a échoué sur la pelouse de la Maison Blanche aux Etats-Unis. Un fait-divers bien terne, sans menace avérée autre que celle d’un pilote probablement éméché lors d’une soirée bien arrosée à Washington. Mais il a déclenché les alarmes du gouvernement américain d’une part, celles du constructeur DJI d’autre part puisqu’il a réagi en instaurant une grande NoFly Zone au-dessus de Washington. En France, nous avons eu droit aux multiples signalements de survols de la base navale de l’Ile Longue en Bretagne. Ils ont participé au durcissement des préconisations du Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale, le SGDSN, qui a servi de base à la loi d’octobre 2016. Pourtant, quelques mois après, les enquêtes ont finalement conclu à l’absence de survols. Trop tard, la machine législative et coercitive était en route, elle ne s’est arrêtée qu’une fois la loi publiée au Journal Officiel.

La loi et ses décrets

Cette loi est d’ores et déjà promulguée, mais la plupart de ses articles ne sont pas encore applicables. Ils ne le seront que lorsque les décrets précisant le champ d’application seront publiés. Les groupes de travail planchent sur leur rédaction, ils seront rendus publics… quand ils seront prêts. Ils doivent notamment indiquer les modalités d’application des limitations de capacités (hauteur et peut-être distance), éventuellement d’un geofencing, de l’enregistrement des appareils, de l’identification à distance. Des préoccupations qui sont les mêmes que celles de l’EASA, que celles de DJI et que celles de l’administration Trump. Autant dire que nous n’allons pas y couper. Ce qui peut limiter la portée et l’étendue de ces restrictions ? Sans doute la technologie encore naissante et son coût d’intégration…

Le bon sens ?

Montreuil 2017. Crédit photo : Franck Mée

Chez Helicomicro, nous sommes persuadés que le bon sens est indispensable pour piloter un multirotor. Mais pour que chacun ne se repose pas sur sa propre interprétation du bon sens, il faut impérativement une formation efficace. Espérons que celle rendue obligatoire par la loi d’octobre 2016 le soit, efficace… Pour autant, le bon sens a ses limites. Avec les beaux jours, on ne compte plus les signalements de caméras volantes au-dessus de foules. Il y en avait lors de récents concerts et manifestations politiques à Paris. Des vols effectués illégalement, avec des appareils de type Phantom. Pas dangereux ? Ca se discute. Personne n’aimerait se prendre un Phantom 4 sur le coin du nez, ni même un petit Mavic Pro, pas plus qu’un racer de moins de 300 grammes mais lancé à grande vitesse. Les protections d’hélices ne sont pas une solution valable, elles constituent même un risque supplémentaire s’il y a du vent, et les parachutes ne sont pas efficaces puisqu’ils doivent être déclenchés très haut.

Un exemple récent ?

Il m’a été rapporté par Franck Mée, photos à l’appui : « Le meeting de la France Insoumise à Montreuil, le 24 mai 2017, est resté dans les mémoires pour la saillie de Jean-Luc Mélenchon, selon qui Bernard Cazeneuve « s’est occupé de l’assassinat de Rémi Fraisse ». Ce dont les journaux n’ont pas parlé, c’est du Phantom qui a survolé le meeting pendant près de 15 minutes. Au mépris de toute sécurité, il est parfois descendu suffisamment bas pour que le souffle des rotors fasse bouger les cheveux des gens, au-dessus d’une foule dense où personne n’aurait pu faire un pas de côté pour l’éviter en cas de problème ! ». S’il était pratiqué en tant que loisir, le vol était interdit parce qu’en zone urbaine, avec survol d’un rassemblement de personnes, dans l’emprise d’un aéroport (LFPB Le Bourget), en zone R 275. S’il était pratiqué à titre professionnel, il n’entrait pas dans les caractéristiques des scénarios S-1, S-2 et S-4 destinés à une pratique hors zone peuplée, ni du scénario S-3 destiné à une pratique sans survol de tiers. Il fallait donc une autorisation exceptionnelle – peut-être a-t-elle été délivrée pour ce vol ? Les images filmées par le Phantom ce jour-là sont visibles sur YouTube, ici

Le bon sens malmené ?

Les signalements de « near–miss » aux abords d’aéroports se sont multipliés. Même s’il s’agit d’un phénomène probablement très amplifié, une fois encore par une « crainte des drones », ces incidents sont plausibles dans la mesure où les caméras volantes, celles de DJI en tête, peuvent être facilement configurées pour monter jusqu’à 500 mètres de hauteur. Il suffit de modifier la valeur dans les réglages. Les vidéos de propagande de terroristes dans les pays du Moyen-Orient montrent des attaques avec des Phantom modifiés artisanalement pour porter une roquette, la lâcher et filmer l’action avec la caméra verticale. Les dégâts humains sont réels, les dégâts médiatiques importants – nous ne sommes plus très loin des « live streamings » d’attaques terroristes puisque la technologie le permet. Ni à l’abri de ce type d’attaque en Europe ou aux Etats-Unis. On note des déclarations de survols de prisons, notamment à la maison d’arrêt de Bois d’Arcy en mai 2017. Des vols avérés ? A vrai dire, peu importe.

Les solutions ?

Les infractions volontaires sont commises en piétinant à la fois le bon sens et le respect de la réglementation. Ne restent donc que les limitations automatiques, celles qu’entendent nous imposer l’EASA, le SGDSN et les députés à l’origine de la loi d’octobre 2016 en France, l’administration Trump, le constructeur DJI et ses concurrents. Le parallèle avec les automobiles est fréquent : elles sont vendues sans limitation de vitesse. Serait-il possible de commercialiser des modèles bridés pour ne pas dépasser 130 km/h sur autoroute, 50 en agglomération et 30 près des écoles ? Pour le moment, non, c’est inimaginable, ce serait un tollé général. Mais la question se posera de manière pertinente et moins passionnée pour la prochaine génération de conducteurs, ceux qui voyageront à bord de voitures autonomes. Il se trouve que les drones sont en avance sur les automobiles dans le domaine de l’automatisation : eux sont déjà largement diffusés dans le commerce.

Les objections…

Face aux restrictions de vol automatisées, nombreuses sont les critiques… On note :

  • La privation de la liberté des pilotes (de drones).
  • La faculté des pilotes malveillants à toujours trouver un moyen de contourner les restrictions.
  • Le manque de discernement de la réglementation entre des nano multirotors inoffensifs et des engins de plusieurs dizaines de kilos.
  • L’atteinte à la vie privée par le géo référencement en temps réel des appareils en vol.
  • L’overdose de restrictions alors qu’il n’y a à ce jour aucun signalement d’accident grave.
  • L’absence de concordance des NoFly Zones gouvernementales (cela vaut pour tous les pays) avec celles des constructeurs.
  • Les très nombreux cas de réglementation ou de NoFly Zones manifestement inadaptées à la situation géographique.
  • L’incompréhension face aux requis de textes de lois bien trop complexes (n’hésitez pas à vous plonger dans notre série de questions réponses pour mieux les comprendre). 
  • Sans oublier les risques de mises à jour génératrices de bugs quand elles sont trop fréquentes et insuffisamment testées.

Oui mais…

Chris Anderson, 3DR (2015)

A chaque objection ses contre-objections, bien évidemment… Les gouvernements et les constructeurs balaient les critiques d’un revers de la main. Il va donc falloir composer avec l’idée d’être contraints à respecter la réglementation. Rien de plus normal, après tout, que de devoir respecter la loi. C’est vrai, pourtant les exemples d’inadéquation de la réglementation avec la réalité sont si nombreux. Chris Anderson, le boss de 3DR, nous avait déclaré fin 2015 que l’avenir résidait dans les outils en ligne (le « Cloud ») pour déterminer les zones de vol autorisées. « En tant que constructeur, nous pouvons vous interdire de voler lorsque le Cloud dit « rouge », et nous le ferons. Ce sera la fin des survols de centrales nucléaires », avait-il affirmé. Tout en laissant entendre que les cartes seraient affinées par la pratique et avec l’aide des utilisateurs : « Il y a certaines situations où ce n’est pas aussi simple. Est-il possible de survoler la banlieue d’une ville ? Voler dans un parc ? La solution viendra du Cloud, et nous utiliserons une information acquise de manière partagée pour aider les pilotes à voler de manière responsable ». 3DR, recentré vers les applications professionnelles, ne parviendra sans doute pas à imposer ses outils au grand public, mais DJI le pourra probablement… Vous avez envie de faire connaitre vos positions ? Le meilleur recours, à ce jour, consiste à réagir au document de consultation publié par l’EASA : c’est lui qui va déterminer le futur de l’activité des drones de loisir…

Le cas de la Suisse

La réglementation suisse est bien plus simple et compréhensible que celle des autres pays qui l’entourent. Ce fut l’un des premiers à proposer une carte en ligne des NoFly Zones à destination des pilotes de loisir (voir ici). Selon le quotidien 20 Minutes, le Conseil National suisse a récemment rejeté par 119 voix contre 62 une proposition visant à renforcer la législation sur les drones, déposée par Susanne Leutenegger Oberholzer. Intéressant. Est-ce à contre-courant de tous les autres pays ? Pas vraiment, car selon 20 Minutes l’Office Fédéral de l’Aviation Civile (OFAC) planche tout de même sur de futurs outils d’identification à distance et sur l’enregistrement des pilotes…

Sources : Le New York Times, 20 Minutes

7 commentaires sur “L’administration Trump, les drones et le reste du monde

  1. Fred, excellent résumé du débat « regulation » vs « bon sens du pilote ». Comme tous les dronistes animés du bon sens, je vais regretter la courte époque où je pouvais voler dans un parc en banlieue ou en relativement haute altitude et long range au milieu de nulle part. Mais l’explosion des ventes de drones grand public doit nous inciter à comprendre le nécessaire encadrement de notre pratique. Helicomicro élève le débat ! (et en attendant, le long range avion, forcément un peu plus compliqué à pratiquer, semble étrangement épargné par le débat…)

  2. Superbe article une fois de plus Fred !
    La situation est très bien résumé et de mon avis un minimum de régulation est nécessaire. Et c’est là que je te rejoints (si j’ai bien compris ton article) sur le fait que quelle que soit la législation il (et je risquerais presque à généraliser à tous les domaines), il sera possible de la contourner. C’est bien là l’effet pervers du truc car, du coup, elle ne pourra qu’aller en se durcissant.
    Surtout dans le climat de peur actuel, il est bien plus facile de faire passer des lois liberticides. Bref où placer la limite ?

  3. Dans tout les cas, pour toutes situations, pour toutes technologies, il y aura toujours des controverses.

    -Maintenant, pour les drones, même si ils interdisent complètement le vol voir pire, une interdiction à la vente et à la possession, ça n’empêcheras pas les attentats car au final, il existera toujours une voie, illégal ou pas, pour se fournir le matos. C’est comme les armes.

    Donc…On tourne en rond…

    Ce qui devrait faire, c’est plutôt de clarifier la réglementation actuelle, sans forcément la durcir, et chercher plutôt des moyens de neutralisations efficaces. Car c’est ça qui vas préserver notre liberté et sécurité.

  4. Magnifique article ! Le gros problème avec les drones et c’est ce qui fait peur au gouvernement, c’est qu’on peut voir le drone mais pas son toujours son pilote, et donc celui ci peu avoir une sensation d’impunité, surtout si le drone n’est répertorié ou immatriculer afin qu’on puisse retrouver son propriétaire. Pour moi les solutions serait plutôt d’amener les pilotes et propriétaire à être responsable de leurs actes comme pour les automobilistes, et pourquoi pas comme pour les avions une application genre Flightradar24 qui permettrai tout a chacun de voir ou se trouve les drones en permanence avec leur numéro d’immatriculation, mais pas nécessairement le nom du propriétaire afin de garder les droits à la vie privé. Ainsi en cas de délit, on aurai vite fait de le retrouver ?

  5. Merci beaucoup pour toutes ces précisions !
    J’ai survolé Genève (Suisse) il y a 2 semaines pour des photos aériennes (Phantom 4). Il m’a suffit de demander deux autorisations (Police et Skyguide) pour avoir le droit de le faire légalement. Le bon sens m’a empêché de voler près des immeubles, au-dessus des gens, etc… Vol très agréable et sans problèmes.

  6. J’espère qu’ils travaillent dur sur des brouilleurs de fréquence ou équivalent,
    Les NoFly zones c’est bien beau mais la protection est du mauvais côté :
    On ne se protège pas en demandant à l’adversaire de ne pas attaquer…
    Cadeau bonux de la solution actuelle (NoFly zones): Elle permet une augmentation du coût de l’appareil, d’augmenter son poids donc diminuer son efficience et d’augmenter les dégâts en cas de chute.
    Pour finir le point que j’affectionne toujours autant : C’est ceux qui respectent qui sont impactés.
    A croire que ceux qui définissent les règles ont des actions chez les fabricants de puces de géolocalisation.

  7. @Sethpaien : J’espère qu’ils travaillent dur sur des brouilleurs de fréquence ou équivalent,
    Les NoFly zones c’est bien beau mais la protection est du mauvais côté :
    On ne se protège pas en demandant à l’adversaire de ne pas attaquer…

    brouilleurs , rapaces , drones avec filet , … ils travaillent sur de nombreuses solutions

    @Sethpaien : « A croire que ceux qui définissent les règles ont des actions chez les fabricants de puces de géolocalisation. »

    Dans certaines circonstances les puces de géolocalisation sont très utiles pour le pilote de drone .
    i) Dans le cadre de prise de vue , Elles permettent d’effectuer de très bon vol stationnaire ou des figures géométriques parfaites .
    ii) en cas de perte de lien télécommande drone , la géolocalisation permet au drone de revenir tout seul au niveau du pilote (rth) . Sans cette fonction le drone est perdu .
    iii) permet le vol à  » la carte  » et d’indiquer la position du drone sur uen carte en cas de perte de vue ( même si il y a toujours un lien telecommande drone )

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

×