Entretien avec Parrot : à 100 % vers le marché professionnel

Martin Liné, directeur marketing chez Parrot.

A l’occasion de la sortie de l’Anafi USA (voir les caractéristiques ici), j’ai pu discuter avec des porte-parole de Parrot : Martin Liné, directeur marketing, Eric Simon, responsable du pôle imaging et Charles-Edouard Boucart, chef de projet. La dernière fois que j’avais rencontré Martin Liné, en octobre 2019, c’était juste après la sortie de l’Anafi FPV, un produit destiné au grand public. Ce nouvel entretien marque un changement de cap majeur…

Helicomicro : L’Anafi USA n’est pas un drone grand public !
Martin Liné : Aujourd’hui, chez Parrot, on s’oriente à 100 % sur le marché professionnel. On pense que les drones sont essentiels pour les professionnels, ils permettent de prendre des décisions rapidement, d’améliorer l’efficacité, d’être plus rentables et de sécuriser leurs équipes. C’est ce sur quoi nous avons travaillé ces dernières années.

HM : Pourquoi « USA » ?
ML : Il y un an et demi, l’armée américaine a envoyé un cahier des charges à des sociétés comme Parrot. On a été parmi les 6 sociétés sélectionnées pour leur appel d’offres. Dans ces 6 sociétés, il y en avait 5 américaines et nous. Il se trouve que nous sommes finalistes ! On a pris du plaisir à réaliser ce produit. Au fur et à mesure du développement, on s’est dit qu’il répondrait très bien aux besoins des autres professionnels. Que ce soit aux policiers, aux pompiers, tout ce qui est premiers secours, mais aussi à l’inspection, à la surveillance. Nous avons demandé l’autorisation pour faire une version pour les professionnels, et ça a été accepté. C’est ainsi que nous annonçons ce 30 juin l’Anafi USA.

HM : Quelle sont les principales caractéristiques de ce nouvel Anafi ?
ML : La principale particularité de ce drone, la « superfeature », c’est qu’il est doté d’un zoom x32 à l’aide de caméra 4K. Il y a aussi une caméra thermique Boson de FLIR. Il est basé sur la plate-forme Anafi. On a amélioré sa structure, on l’a renforcée, et surtout on a travaillé à une protection de pointe sur les données. On arrive donc à une solution d’une qualité militaire à faible prix.

HM : C’est une rupture avec les précédents Anafi ?
ML : Il se pilote avec le Skycontroller 3 et Freeflight 6, l’Anafi USA va donc profiter de toutes les richesses que l’on a pu créer ces dernières années autour de la plate-forme Anafi. Cela inclut le SDK, sur lequel nous avons beaucoup travaillé pour le rendre plus riche, pour trouver de nouveaux partenaires. On a apporté de nouvelles fonctions. On nous a demandé de pouvoir modifier la position du Home Point, du point de retour automatique, pour des raisons de sécurité. Une autre demande, par les services de secours, est de connaître la position exacte du drone sur la carte. Dans Freeflight 6, on pourra partager la position du drone en un clic.

HM : Y a-t-il des outils spécifiques pour les services de secours?
ML : Pix4D sera compatible avec Anafi USA. L’idée, c’est que Anafi USA est fait pour les secours, qui ont besoin de cartographier des zones en mapping 2D pour de la recherche. Ils ont besoin de faire ça sans connexion à Internet, très rapidement. On sera aussi compatible avec des logiciels comme DroneLogbook, qui permet d’avoir une bonne vision sur les données des drones pour gérer une flotte. On a travaillé avec l’armée française, du Royaume-Uni, de Suisse, avec Human Rights Watch. Nous sommes confiants, nous avons une base solide et nous pensons qu’elle correspond à ce qu’attendent les professionnels.

Eric Simon, responsable du pôle imaging chez Parrot.

HM : Pourquoi 3 caméras ?
Eric Simon : L’industrie du mobile dépense des milliards de dollars à faire des composants aux performances complètement dingues. On a repris les mêmes recettes. Parrot est parti de technologies de pointe des mobiles. Pour Anafi USA, on a utilisé deux capteurs mobiles de 21 mégapixels HDR, au top dans ce qu’on peut faire chez les fabricants. La base image d’Anafi USA a consisté à partir de composants extrêmement bien fiabilisés et de pointe. On a repris une architecture qui fonctionne bien, c’est le zoom hybride de la téléphonie mobile. Sauf qu’on l’a complètement repensé pour être à bord d’un drone. On a donc deux caméras de focales différentes.

HM : Quels sont les avantages de ce zoom ?
ES : Ce qui est génial, c’est que ce zoom est instantané, contrairement aux zooms mécaniques. Il est possible de se positionner à 50 mètres de hauteur, de faire un point fixe, et de regarder tout autour. Dans un périmètre de 1500 mètres, on voit des détails de 10 cm ! Ca change le pilotage, il suffit de choisir une zone avec le lacet (yaw), et on zoome. En appliquant une règle de trois, à 150 mètres, on voit des détails de 1 cm.
ML : Dans le cas de la surveillance et de la réparation d’une antenne, qui génère des interférences très fortes, on se met à distance, et avec le zoom x32, on peut tout de même effectuer le contrôle des câbles. De la même manière, on ne s’approche pas des lignes à haute-tension à moins de 10 mètres. Cela permet d’éviter la formation d’arcs électriques.

HM : Les images zoomées sont-elles stabilisées ?
ES : On a repris les technologies de stabilisation mixtes développées pour Anafi, on les a améliorées. C’est-à-dire une stabilisation mécanique et une stabilisation numérique. Cela permet d’obtenir un design fiable et solide, qui permet d’avoir un drone qui résiste à la poussière, IP53.

HM : Les 3 caméras sont solidaires dans le bloc image ?
ES : Oui ! Comme sur Anafi Thermal, on peut basculer vers la caméra thermique. Un pompier peut monter à 50 mètres, faire un tour d’horizon. S’il détecte un point chaud, il va voir avec la caméra visible en zoomant.
ML : Avec l’Anafi USA, on peut aussi bien voir des défauts sur des panneaux solaires que des personnes qui se déplacent à 2 km. Tout ça tient dans un drone qui pèse 500 grammes.

HM : L’Anafi USA est donc un peu plus imposant que les précédents modèles ?
ML : Oui, ce drone est un peu plus gros que les précédents Anafi, bien sûr. Déployé, il mesure 28 x 37 cm. En termes de tilt caméra, on peut aller de 110° vers le haut à 140° vers le bas.

HM : Quelles autres fonctions sont prévues pour séduire les professionnels ?
ML : Notre souhait, c’est de répondre à des exigences particulières des professionnels. Il y a celles de l’extrême urgence. On ne peut pas arriver sur le terrain et prendre du temps pour déployer l’appareil, et finalement se trouver bloqué parce qu’on est en Nofly Zone. Anafi USA décolle en 55 secondes, y compris de la main.

HM : La liaison radio a-t-elle été modifiée ?
ML : On est sur la même technologie que Anafi Thermal.

HM : L’appareil est-il prévu pour des environnements un peu difficiles ?
ML : On peut voler avec ou sans GPS, avec des rafales de vent de 15 m/s, avec une vidéo stabilisée. Comme il est IP53, on peut voler sous la pluie sans souci. Comme sur un Anafi, les batteries sont en chargement USB-C, qui permet de charger facilement et en déplacement.

Charles-Edouard Boucart, chef de projet chez Parrot.

HM : Les hélices ont été modifiées, semble-t-il ?
Charles-Edouard Boucart : Pour faciliter l’usage des professionnels qui doivent changer des hélices sur le terrain, on a mis en place un système de fast lock, fast unlock. Plus besoin d’outils, les hélices se dévissent et se vissent à la main. On a aussi travaillé sur l’aérodynamique qui nous a conduits à ajouter ce qu’on appelle des dents de baleine, sur le bord tranchant de l’hélice. On s’est basés sur les nageoires des baleines, avec une inspiration de biomimétisme. Ce bord d’attaque en dents de baleine permet d’avoir une autonomie légèrement meilleure, et de diminuer la signature sonore du drone. C’est intéressant pour les applications orientées défense et sécurité.

ML : L’Anafi USA est plus silencieux que l’Anafi Thermal. Et puis il vole pendant 32 minutes !

HM : Est-ce que la solidité des hélices a été améliorée ?
C-EB : Les hélices sont plus grosses que celles des précédents Anafi, un peu plus épaisses.

HM : On peut toujours mettre la main sans risque dans les hélices qui tournent ?
ML : On ne le recommande pas ! Cela dit, l’atterrissage dans la main est possible. Il faut que le drone soit à 50 cm au-dessus de la main. On demande un atterrissage, et lorsque le drone touche la paume de la main, les hélices s’arrêtent.

HM : Votre slogan « N’accordez pas votre confiance aux drones chinois » a fait du bruit sur les réseaux sociaux…
ML : On voulait que ce drone soit de confiance. On s’est assurés, comme on l’avait fait pour les précédents Anafi, d’être conforme au RGPD. Les données appartiennent à l’utilisateur. S’il veut les partager avec nous, il peut, de façon anonyme pour améliorer le produit, ou de façon publique pour nous aider à comprendre un problème. Les données pourront être chiffrées sur le drone, sur la carte microSD, avec un algorithme AES sur 512 bits. On sera comme d’habitude sur de la connexion en WPA2, à la fois sur l’authentification et le chiffrage des messages. On ne veut pas que n’importe qui puisse mettre Anafi USA à jour avec un firmware malveillant. Donc on va signer les firmware pour vérification avant de les appliquer.

HM : D’autres mesures de sécurisation de l’Anafi USA ?
ML : Pour que tout soit sûr sur toute la chaine, les développements ont été réalisés à Paris et à Lyon, en France. On a décidé de faire l’industrialisation aux Etats-Unis. Donc Anafi USA sera un drone fabriqué aux Etats-Unis, développé en France.

HM : L’Anafi a été conçu en France, fabriqué aux Etats-Unis, mais les composants restent chinois ?
C-EB : Tous nos composants, 99,99 %, qu’on appelle composants intelligents, sont de composition non-chinoise. Principalement américains, taïwanais  canadiens, allemands, japonais. Nous n’avons pas de composants critiques chinois. C’était un prérequis de l’armée américaine, et donc nous n’avons pas de composants chinois dans ce produit. Il faut bien comprendre qu’on ne parle pas d’un simple assemblage aux Etats-Unis. La fabrication des cartes électroniques est faite aux Etats-Unis. Nous n’avons pas choisi une usine d’assemblage aux Etats-Unis juste pour obtenir un tampon Made in USA, on joue le jeu à fond.

HM : On peut envisager la même chose en Europe ? Un Anafi Europe ? Voire Anafi France ?
C-EB : Ce serait possible, ne serait-ce que parce que les prototypes que nous réalisons sont faits en France. Leurs cartes électroniques ont été conçues en France, leur assemblage a été fait chez Parrot à Paris. Trouver une usine d’assemblage n’est pas ce qu’il y a de plus compliqué. Maintenant si on envisageait de produire en Europe, il faudrait vérifier à quel point on sera capables de monter en cadence.
ML : Il faut bien comprendre que si nous avons choisi de produire aux Etats-Unis, c’est parce qu’on répond à un vrai besoin de nos clients. Ce n’est pas un hasard si nous avons choisi les USA, nous avons des clients qui ne voulaient plus de drones chinois. On a aussi eu des clients qui voulaient que les données soient en Europe. La raison, c’est que la législation autour des données est vraiment en avance en Europe. Toutes les données de utilisateurs qui sont partagées avec leur accord sont stockées en Irlande et en Allemagne. Dans des endroits qui sont auditables, c’est important.

HM : On peut demander à retirer les données ?
ML : Oui, c’est déjà prévu dans Freeflight 6. C’est un requis du RGPD.

HM : Vous a-t-on demandé de rendre le Skycontroller plus résistant ?
C-EB : Je peux répondre dans le cadre de l’appel d’offres militaire aux Etats-Unis, l’armée dispose déjà de sa télécommande qui est utilisée pour piloter d’autres drones. Nous nous sommes interfacés avec cette télécommande. On ne leur fournit que le drone.
ML : Nous avons eu des demandes d’améliorations sur le Skycontroller 3, mais aujourd’hui, nous sommes convaincus qu’il convient bien aux besoins.

HM : Flightplan sera-t-il inclus ?
ML : Oui, tout est compris. Cela inclut la possibilité d’ajouter des Waypoints, de faire un Flightplan complexe, avec une précision au degré près. Il y aura une section destinée à chiffrer le contenu de la carte microSD, pour Anafi USA. On pourra aussi, sur un RTH, choisir un atterrissage, un vol stationnaire, et la hauteur du vol stationnaire.

HM : Y aura-t-il une version Desktop de Flightplan ?
ML : Il n’y a pas de version Desktop produite par Parrot. Par contre, via le SDK, il est possible de développer un outil. Par ailleurs, on est sur un format Mavlink, on peut donc déposer des plans de vol prédéfinis.

HM : Pix4D est-il compatible avec l’Anafi USA ?
ML : Pix4D React et Pix4D Capture seront compatibles avec Anafi USA à sa sortie. J’ajoute que Pix4D React est un superbe outil pour les secours. Il permet de cartographier sans connexion à Internet, c’était pour nous une priorité d’être compatible avec Anafi USA.

HM : L’Anafi USA sera disponible quand et à quel prix ?
ML : Il sera disponible début septembre sur Parrot.com et Studiosport, pour 7000 € hors taxes. Pour ce prix, l’Anafi USA est livré dans une Pelicase avec sa batterie, plus deux batteries supplémentaires, un multichargeur USB, un jeu d’hélices supplémentaires, un Skycontroller 3 et un socle pour une tablette.

HM : Concernant les Anafi grand public, qu’en est-il ? Le support continue ? Les développements de Freeflight 6 continueront-ils ?
ML : Comme Anafi USA fonctionnera avec Freeflight 6, le logiciel continuera à être maintenu et amélioré. Toutes les fonctionnalités ne seront pas disponibles pour tous les drones, pour des raisons qui peuvent être liées aux types de capteurs à bord ou à des fonctionnalités orientées professionnels ciblées pour Anafi USA. La modification de la Home Position, par exemple, est une fonction qui sera ajoutée pour tous les Anafi.

HM : Les précédents Anafi sont-ils toujours en production ?
C-EB : Oui, mais on est en fin de production.

HM : Pendant combien de temps les pièces seront-elles disponibles ?
C-EB : Nous disposons de stock pour les pièces détachées, nous avons pris nos précautions, ça ne posera pas de souci.
ML : Les pièces seront disponibles plusieurs années après l’arrêt de la production.

8 commentaires sur “Entretien avec Parrot : à 100 % vers le marché professionnel

  1. Magnifique engin… à ce prix, il peut l’être…
    Comme je l’imaginais, il n’y aura plus jamais d’engins aussi rigolos que les discos 4G et bebop2 4G… je vais garder les miens amoureusement.

  2. hormis le prix, il faut admettre que cette machine a de la gueule.
    D’accord aussi pour dire que la disco etait tres le fun a faire voler.

  3. Moi qui voulait m’acheter un Anafi FPV, je vais me tourner vers un drone « Chinois » ….
    Très déçut de la politique Parrot.

  4. Et dans cette politique « anti-chinoiserie » destinée à un marché professionnel, avec d’ailleurs le prix qui va avec, les nouveaux produits de chez Parrot sont il aujourd’hui vraiment au niveau de leur concurrent chinois ? Je n’ai jamais eu l’occasion de voir voler un Anafi (standard) qui faut l’avouer, a tout de même une apparence très « cheap » et j’ai tellement été déçu par la gamme bebop (fiabilité) que j’ai du mal à être convaincu ? Après, sur le papier, il faut quand même reconnaître que cet Anafi est séduisant.

  5. Si Parrot veut convaincre le marché professionnel il va falloir se montrer un minimum plus convaincant sur le suivi et le support clientèle !

    Je travaille dans un grand organisme de recherche public, nous avons du matériel Parrot payé au prix fort et buggé dès sa sortie d’usine (en particulier une caméra Sequoia) qui est devenu inutilisable faute de service après-vente. Le support après-vente est inopérant. Vous avez le choix entre une plate-forme téléphonique anglophone localisée en Inde (ou Pakistan, je ne sais plus exactement) qui ne pourra vous proposer que des généralités du genre « you can update the firmware and reset the device to factory parameters… » et une adresse mail dans laquelle tous vos mesage se perdront sans retours. Même notre fournisseur n’a pas d’autres contacts avec Parrot.
    Sur ce point, les chinois font beaucoup mieux !

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