Livraisons en prison avec des drones : le business monte en puissance

Les livraisons en drones se font une belle place dans les faits-divers en France… et ce ne sont pas les appareils d’Amazon, ni ceux de Google, ni ceux de leurs innombrables concurrents qui sont à l’honneur. Non, ce sont des vols opérés au-dessus de prisons dans le but d’opérer des livraisons illégales. Il s’agit tout simplement de la version 2.0 des lancers de colis au-dessus des enceintes et des filets de prisons.

Tant de livraisons que ça ?

Je me suis contenté de relever quelques articles publiés dans la presse régionale depuis le mois d’avril 2023 – mais il y en a eu bien plus que ces quelques exemples !

Ca fait beaucoup et pourtant, ce ne sont qu’une partie des affaires, celles qui ont abouti à des interpellations et qui ont été rapportées par la presse. Il s’agit donc uniquement de la partie visible de l’iceberg, d’autres cas ne sont ni vus, ni entendus, ni détectés ! D’autres sont vus ou entendus, mais sans interpellation. D’autres enfin ne sont pas décrits dans la presse.

Les mesures anti-drones ?

Selon le ministère de la Justice, rapporté par France Info en août 2023, 22 sites pénitentiaires sont équipés de brouilleurs anti-drones, rapporte France TV, pour un coût de 12 millions d’euros par an à charge de l’Etat. 45 prisons devraient être équipées fin 2023. Pour mémoire, il y a plus de 180 maisons d’arrêt, centres de détention et maisons centrales en France. 

Pour mémoire aussi, un équipement AeroScope coûte environ 60000 € (sans abonnement). Mais si l’équipement d’une prison revient à 12M/22 = 550 000 €… par an, alors il s’agit de solutions beaucoup plus ambitieuses. On peut imaginer qu’elles couvrent la détection de tous les drones, de DJI et des autres constructeurs, et leur neutralisation. Du costaud face aux gangsters des airs ?

En théorie, oui…

La lecture des faits-divers montre pourtant que les survols de drones sont pour la plupart repérés de manière visuelle, « à l’ancienne ». Soit parce que les drones ont été vus ou entendus, soit parce qu’ils ont été retrouvés crashés. Autant dire que c’est un peu tard pour réagir, et qu’il faut attendre un nouveau survol pour espérer intervenir efficacement. Bref, on est loin, très loin, d’une détection efficace.

Les autres mesures ?

  • DJI a mis en place une fonction de géobarrière sur ses drones qui interdit le survol de la plupart des prisons française. A l’évidence cela ne suffit pas. 
  • Le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) impose une mesure de sûreté : le signalement électronique à distance pour les drones. Mais elle est uniquement imposée pour ceux de plus de 800 grammes, et avec une mise en place… au bon vouloir du pilote ! On s’en doutait : cela ne sert à rien dans le cas des prisons où la pratique est volontairement malveillante…
  • La réglementation européenne impose une géovigilance pour les drones de classes C1, C2 et C3. Cette mesure n’est pas encore opérationnelle par manque de cartes fournies par les différents pays de l’Union Européenne et par un défaut d’intégration par les constructeurs, mais elle promet d’être… aussi peu efficace que le signalement électronique français. D’autant qu’elle n’interdit pas les vols, elle ne fait que prévenir le pilote.
  • La réglementation européenne prévoit aussi une identification directe à distance, un système assez similaire au signalement électronique français, mais qui est imposée par les drones de classes C1, C2 et C3. Là encore, la fonction est liée à la coopération de l’exploitant du drone qui doit saisir son numéro… et qui peut très bien se passer de le faire. La mesure promet une efficacité très médiocre pour détecter les vols au-dessus des prisons.

Que faut-il en conclure ? 

Que les drones utilisés au-dessus des prisons ne sont pas des appareils de DJI ? Que ce sont des drones de DJI, mais hackés ou bidouillés pour être indétectables ? Que les prisons ne sont pas suffisamment équipées en outils de détection ? Que l’équipement de détection en place n’est pas efficace ou la formation du personnel insuffisante ? Ou que cet équipement n’est simplement pas opéré 24h/24 ? Il y a sans doute un peu de tout ça…

En attendant…

Le petit business de livraison par drones en prison progresse vite, et cela inquiète à juste titre le personnel des établissements pénitentiaires. Il passe même à la vitesse supérieure. 20 Minutes rapporte que, en septembre 2023, quatre individus ont été interpellés pour avoir opéré un service de livraison par drone sur plusieurs prisons. 

Ils utilisaient un compte Snapchat appelé « Air Colis » pour que leurs « clients » passent facilement commande depuis la prison. Les vols avaient lieu de nuit, avec 5 à 10 vols et un coût de 400 € pour 500 grammes transportés. C’est une « surveillance physique » qui a permis de retrouver les pilotes pendant l’une de leurs livraisons nocturnes. Il est probable que d’autres « entrepreneurs » opèrent des services concurrents de « Air Colis »… A Meaux, en octobre 2023, un pilote interpellé était rémunéré 150 € par livraison.

Une autre équipe a été appréhendée, selon France 3, elle avait organisé un réseau appelé « drone2france », toujours sur Snapchat. Les pilotes ont effectué des livraisons au-dessus d’une quinzaine de prisons.

Le plus gênant ? Ces deux exemples de business constituent la partie émergée de l’iceberg ! car il suffit de passer quelques minutes sur Snapchat pour trouver des offres de livraisons « uber-prison », sur des comptes qui ne se cachent pas vraiment !

Il est temps…

C’est maintenant qu’il faut débloquer les crédits équiper les prisons de matériel LAD (Lutte Anti-Drone) capable de détecter toutes les marques et tous les modèles, 24/24, qui ne repose pas sur le bon vouloir du propriétaire, de l’exploitant ou du pilote du drone, et avec une formation adaptée pour les utiliser avec efficacité.

Sources : mentionnées en liens dans ce post
Visuels d’illustration réalisés avec l’IA Firefly d’Adobe

19 commentaires sur “Livraisons en prison avec des drones : le business monte en puissance

  1. Est-ce que ce type de formation est supporté par pole emploi ou le CPF ? Ça a l’air d’être une activité professionnelle du drone porteuse

  2. j’ai regardé la conférence de Henri Seydoux sur ses drones pour l’Ukraine … les concepteurs / pilotes de drones pour prisons devraient demander un stage chez Parrot
    dans la conception de drone évoluant dans un environnement EM fortement dégradé 🙂

    pour ce genre d’activité est ce qu’un drone terrestre ne serait pas plus discret ? ( une sorte d’araignée dont les pattes collent au mur )

  3. @delta: l’importance dans ce cas d’usage est d’avoir un vecteur bas cout et facile a prendre en main. Une araignée qui colle au mur demanderait des heures de développements, ce qui n’est pas compatible avec le type de livraison.

    Mais rien de nouveau, plus les techno drones continueront d’évoluer, plus ce type d’usage sera facilité et se répendra

  4. Avant l’arrivée des drones, c’était des colis lancés dans l’enceinte de la prison. La parade avait été la mise en place de filets antiprojection. Les filets antiprojections existent encore dans certaines prisons, où l’on a retrouvé des drones pris au piège..
    La mise en place de filets pour toutes les prisons serait probablement le moyen le plus pertinent. (Pas de problème avec le type de drone lorsque les mailles du filet sont relativement petites. On peut aussi imaginer des panneaux solaires produisant de l’énergie thermique ou électrique.) En effet, une vingtaine de secondes de fonctionnement du drone lui permet de s’assurer l’initiation et la livraison. Les dispositifs de brouillage ou assimilé doivent donc fonctionner en permanence ce qui semble peu réaliste.

  5. @ michel TUFFERY : Les livraisons s’effectuent désormais avec un dispositif de largage, en hauteur et avec de petites charges, les filets ne servent pas à grand-chose, j’ai pu le constater avec des photos de drones saisis.
    Pour la neutralisation, c’est uniquement la détection qui doit être opérationnelle en permanence, le brouillage n’est activé qu’en cas de détection et de levée de doute.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

×