Eddy de Pretto invite des drones pendant ses concerts (avec Thierry Masson)
Peut-être allez-vous assister à l’un des concerts de la tournée 2024 d’Eddy de Pretto, en support de son album Crash Coeur ? Vous aurez de la chance, parce que la plupart des dates pendant le printemps 2024 affichent complet !
Pendant le concert d’Eddy de Pretto ?
Vous verrez évoluer de petits drones carénés de type cinewhoop autour d’Eddy de Pretto. L’artiste s’est offert les talents de Thierry Masson, que vous connaissez déjà. Thierry a accepté de répondre à mes questions sur l’usage d’un drone comme composante et partie intégrante d’un concert, piloté en live !
Helicomicro : Raconte-nous ces prestations pendant les concerts d’Eddy de Pretto !
TM : Chaque chanson du concert est un tableau différent, une ambiance. Eddy nous a expliqué que chaque tableau était une version du bonheur. L’idée était d’intégrer le drone dans les tableaux de manière à ce que les images soient envoyées sur le billboard, un écran géant, sur quelques chansons.
HM : C’est toi qui t’occupes de toute la partie drone ?
TM : J’effectue les prestations pour le compte de la société Marara. Lorsque je ne suis pas disponible en raison d’autres engagements, c’est Lucas Verdier qui prend les commandes.
HM : Le drone vole tout le temps ?
TM : Non, bien sûr. Eddy voulait un drone sur une chanson sur deux. On lui a expliqué ce n’était pas évident, et qu’il était recommandé de baisser la voilure. Au final, le drone apparait sur deux chansons, pour un set qui en propose une quinzaine.
HM : Que deux ?
TM : Oui, il fallait impérativement quelque chose de simple à reproduire. Il n’y a pas un moment qui soit improvisé, c’est obligatoire dans un show qui est très préparé, chronométré, timecodé.
HM : Comment est intégré le drone dans le spectacle ?
TM : Il y a une chanson dans laquelle je fais un nombre de tours précis autour d’Eddy, je recule pour lui donner de la respiration, je retourne vers lui pour 2 tours, une autre respiration et je m’en vais. Dans l’autre chanson, Eddy récupère le drone pour se filmer en train de chanter. Le mouvement doit toujours être le même, il ne doit pas y avoir de place pour la surprise. Eddy doit le rattraper sans se poser de question.
HM : Et réglementairement parlant ?
TM : J’avais bossé avec PNL, on avait voulu mettre du drone sur scène, mais les salles étaient très frileuses. On a décidé de s’appuyer sur la loi européenne pour rassurer.
HM : Pourtant en intérieur, les textes 2019/945 et 2019/947 ne s’appliquent pas !
TM : Oui, mais la conformité à la loi européenne nous a permis de convaincre les salles d’utiliser le drone en présence du public. Nous avons choisi d’utiliser un drone FPV classé C0. C’est Florian Wolf de Wolf Drone Shop qui s’est occupé de réaliser cette machine, un Sphinx 2 pouces équipé en DJI O3.
HM : Il y a survol du public ?
TM : Non, je ne survole jamais le public, c’était même la condition sine qua non pour envisager la prestation.
HM : Tu restes au-dessus de la scène ?
TM : Oui, la plupart du temps. Je survole aussi le début de la zone crash, qui se situe en avant des barrières qui séparent le public de la scène. Mais je reste toujours à bonne distance du public.
HM : Voler dans l’obscurité d’une scène, c’est un challenge !
TM : L’une des demandes que j’ai faites à Florian Wolf, c’est d’installer des LED sur le drone. Parce que sur un tableau, Eddy récupère le drone à la main. Il va s’installer sous l’écran pour chanter face caméra avec le drone à la main. L’image diffusée par la régie, c’est celle du drone en live !
HM : Tu décolles dans le noir ?
TM : Oui ! J’allume les LED, mais je vole dans le noir. C’est un moment délicat, parce que je ne vois rien. Mon point de repère, c’est l’écran, à environ 3 ou 4 mètres. Je m’en sers jusqu’à voir Eddy, et je m’approche gentiment pour qu’il prenne le drone à la main. Il l’attrape par le dessus, en se fiant aux LED. J’éteins les moteurs, et lui va s’installer sous l’écran pour chanter avec le drone en main.
HM : La qualité du retour vidéo est suffisante ?
TM : En fait, ça donne un effet vraiment super ! C’est une chanson qui s’appelle Maison, on a l’impression d’un gars qui chante avec son smartphone, il y a un côté très intimiste. Mais on a rencontré pas mal de difficultés avec le DJI O3 !
HM : Il a du mal en basse luminosité ?
TM : Non, ce n’est pas le souci. Les LED installées sont puissantes, elles éclairent suffisamment bien. Non, la difficulté, c’est que le O3 chauffe ! Et quand il chauffe, il se met à l’arrêt pour protection… Or il est indispensable que la liaison vidéo reste opérationnelle pendant toute la chanson !
HM : Comment tu as géré ça ?
TM : Au début, on a essayé de refroidir avec un énorme ventilateur aux pieds d’Eddy. Mais c’est très contraignant, ça l’empêche de bouger. Et il y a un risque de panne !
HM : Tu as expérimenté une panne ?
TM : Oui, ça nous est arrivé, on a plusieurs systèmes qui ont lâché un soir, dont le gros ventilateur. Le O3 a tenu bon pendant la chanson. Quand elle s’est arrêtée, j’ai coupé les LED, et là il s’est mis sur off, mais c’était juste. On a finalement choisi de placer un ventilateur sur le O3 à bord du drone. Pour des questions de poids, parce qu’il ne fallait pas dépasser les 250 grammes, il n’était pas possible d’utiliser un O3 normal. Florian Wolf a du intégrer un O3 naked pour ajouter ce ventilateur.
HM : Comment récupères-tu le signal vidéo pour l’envoyer en régie ?
TM : L’image passe d’un casque Goggles 2 de DJI vers un boitier Cosmostreamer, qui diffuse en HDMI. C’est le système avec lequel on a expérimenté la latence la plus réduite, elle est de 400 millisecondes environ. La solution est simple à mettre en oeuvre et c’est important pour réduire le risque d’ennuis.
HM : Tu utilises un autre drone ?
TM : Oui, en plus du modèle C0 de Florian Wolf, j’ai choisi un Darkstar20 de GePRC, parce qu’il pèse 117 grammes. C’est celui que j’utilise quand je me rapproche du public.
HM : Tu as des machines de spare ?
TM : Non, la multiplication du matériel n’était pas prévue. Mais on a prévu et testé des solutions de repli en cas de coup dur. Parce que les vols sont en live, il n’est pas question de les refaire s’il y a un souci. Comme le show est timecodé, nous avons veillé à ce que la régie puisse envoyer une séquence enregistrée sur l’écran si je ne suis pas opérationnel.
HM : Tu voles en stabilisé ou en Acro ?
TM : Je vole uniquement en Acro. C’est une question d’habitude, mais aussi parce que je ne parviens pas à être régulier avec la stabilisation activée, ça me fait des à-coups quand je dois pousser le stick vers l’avant, ça me gêne beaucoup trop !
HM : Mais c’est un challenge de plus, quand même, parce que la scène n’est pas très grande ?
TM : Effectivement, elle est petite. Lorsque je fais mes manoeuvres, j’ai 2 mètres devant, 2 mètres derrière. C’est serré. Mais la clé, c’est qu’on a répété. On a vraiment beaucoup répété !
HM : Ca représente quoi, « beaucoup répété » ?
TM : Pour mettre le spectacle au point, on a fait ce qui s’appelle une résidence, on a répété tous ensemble pendant une semaine, d’abord chanson par chanson. Et puis ensuite, on a fait des filages. C’est-à-dire qu’on a lancé le spectacle en conditions réelles, on a ajusté et on l’a fait deux, trois fois dans une journée, et pendant une semaine. Avec les répétitions uniquement drone, et avec les filages, il y a beaucoup de vols. C’est ce qui permet, le jour J, une absence de pression.
HM : Le risque de crash est-il calculé ?
TM : Dès le début des discussions, il a été acté que le drone ne survolerait pas le public. Il y a 60 dates en tout, et malgré toutes les mesures prises, on ne peut pas maitriser tout. Sur une date ou une autre, le drone chutera probablement. Mais le fait qu’une distance par rapport au public ait été décidée et fixée dès le départ permet de sérieusement réduire le risque.
HM : Tu as connu des soucis pendant les premiers concerts ?
TM : Très peu. Mais j’ai connu une panne avec le Darkstar20. Il n’a pas décollé, et il est parti en flip arrière.
HM : C’était un souci de liaison radio en salle ? Tu utilises quel protocole ?
TM : Oui. Je vole avec une Tango 2, en Crossfire. Après vérification, on a identifié que le souci venait d’un intercom. D’habitude il n’y a que le mien, ce jour-là il y en avait un second. On a reproduit le problème, donc on sait comment l’éviter.
HM : Pas de problème de liaison vidéo dans les salles de concert ?
TM : Pas du tout, c’est parfait de ce côté. Mais il faut dire que je reste très près du drone. J’essaie d’avoir le plus d’informations possible sur les fréquences qui sont utilisées par les intervenants, il y a des listings de fréquences et de puissances.
HM : Tu es installé confortablement pour piloter ?
TM : Disons que l’espace n’est pas énorme dans une salle. Je suis sur le côté de la scène, parfois sur une chaise, mais parfois aussi sur un gros flightcase !
HM : Tu peux quitter la scène quand tu ne voles pas ?
TM : Non, je ne bouge pas, je reste en place pendant tout le concert. On a d’ailleurs mis en place une procédure au cas où je ne parvienne pas à faire revenir le drone. Ca pourrait arriver quand je tourne autour d’Eddy, parce que j’ai de la lumière, j ‘ai toujours de la lumière, et puis à un moment donné, c’est noir.
HM : Tu reviens sans visibilité ?
TM : Oui, mais j’ai trouvé une astuce, j’éclaire mes jambes, c’est suffisant pour que je puisse revenir.
HM : Et donc, que se passe-t-il en cas de crash ?
TM : Malgré les heures de répétitions, ça peut arriver. On assume donc le fait que je crashe le drone dans un coin de la scène. Quand la scène passe au noir, un régisseur vient le récupérer, avec l’aide des LED du contrôleur de vol.
HM : Les bips de la mise en route du drone ne s’entendent pas pendant le concert ?
TM : Non, pas du tout. A vrai dire, le micro d’Eddy est très directionnel, on n’entend pas le drone alors que je vole très près, à 50 cm de sa tête par moment. On entend simplement un petit bruit quand il le saisit, parce qu’il n’y a pas beaucoup de son à ce moment-là.
HM : Les scènes seront-elles toujours de mêmes dimensions sur les 60 dates ?
TM : Non, à partir de fin avril, on sera en festivals, en extérieur, puis en plus grosses salles. Ca va entrainer de nouveaux challenges. Mais autant il n’y a pas de vent sur les scènes en salle, autant les conditions météo en extérieur seront différentes avec des scènes plus grandes et potentiellement du vent.
HM : C’est donc une bonne idée que d’avoir prévu un drone de classe C0 !
TM : Oui. Cela dit pour les salles, c’est un 2 pouces. En extérieur, on prévoit avec Florian Wolf de passer en 3,5 pouces, probablement un Sphinx opéré en S-3. On sera à un peu plus d’une dizaine de mètres du public. Pour qu’Eddy puisse le saisir facilement, on réfléchit à une poignée sur le drone.
HM : Au final, un drone partie intégrante d’un concert, ça fonctionne ?
TM : Lorsqu’on a commencé à faire les répétitions, certains m’ont dit que ça leur avait donné des frissons, que l’effet était vraiment au-delà de ce qu’ils attendaient. Il y a toute une magie qui se met en place, et le drone fait partie d’un tableau. En fait, le drone magnifie ce tableau. Quand je fais de belles rotations autour d’Eddy sur cette chanson où il y a beaucoup d’émotion, ça fonctionne vraiment bien.
Magnifique entrevue qui laisse paraitre les difficultés de voler dans un spectacle, mais aussi la satisfaction du travail accompli.
Thierry Masson est un télépilote très inspirant, j’ai eu la chance de l’avoir comme formateur. Un as du pilotage !