Egidio Cau de CS présente la solution anti-drone Boreades

Crédit photo : CS

Où en sont la détection et la neutralisation des drones ? C’est une question que je posais à l’occasion d’un appel d’offre de l’état pour équiper la gendarmerie et la police (voir ici). Rares sont les acteurs du marché à communiquer sur le sujet à destination du grand public. Pourtant Egidio Cau, directeur de l’activité surveillance de zone chez CS (Communication & Systèmes), a accepté de nous répondre. CS est une société française qui emploie 2000 personnes dans le monde, 1700 en France. Elle commercialise l’outil Boreades, destiné à la détection et à la neutralisation de drones

Helicomicro : CS est une société peu connue du grand public
Egidio Cau : Le métier de CS est la conception de systèmes critiques pour le commandement, la conduite et le contrôle d’opérations. Nous travaillons sur quatre secteurs de marchés principaux. Le premier est la défense et la sécurité, qui représente environ 50 % de notre activité. Le second est le spatial pour 20 %, le troisième est l’aéronautique, le dernier est l’énergie. La cybersécurité et la protection de sites sensibles sont des axes majeurs de développement du groupe. Nous sommes très actifs dans la lutte anti-drones avec Boreades, un système complet modulaire qui intègre des capteurs, des effecteurs et des outils logiciels décisionnels.

HM : Depuis quand êtes-vous impliqué dans l’industrie des drones ?
EC : En 2015, il y a eu ces survols de drones qui ont fait la une des médias. A l’époque, une évaluation demandée par les militaires avait montré que les systèmes n’étaient pas pertinents. Chez CS, nous avions des solutions en préparation, mais qui n’étaient pas encore opérationnelles. Le SGDSN et l’ANR ont lancé une consultation pour évaluer des technologies industrielles, principalement de détection, puisque rien d’adapté n’existait à l’époque. Nous avons été retenus, ce qui nous a permis de développer un premier système.

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HM : Vos outils sont d’ores et déjà commercialisés
EC : Oui, nos premières démonstrations ont été menées en mars 2016, et nous avons vendu notre premier système en juin 2016, à la veille de l’Euro ! Il était destiné à la surveillance des stades, c’est une acquisition par la Préfecture de Police de Paris.

HM : Comment fonctionne la détection ?
EC : Notre solution est basée sur une fusion de données multicapteurs, dont l’élément principal est la détection radar. Nous considérons depuis le début que c’est le seul moyen qui permettra la détection de tous les drones, d’être agnostique aux types d’appareils et à leur façon d’être manœuvrés ou pilotés.

HM : La détection radio n’est pas pertinente ?
EC : Pas autant que la détection radar. Il y a les drones commerciaux en wifi classique, qui seront de moins en moins faciles à détecter puisque les constructeurs, principalement chinois, protègent les liaisons radio. Il y aura aussi les drones qui vont évoluer en 4G, ou 5G, qui seront très difficiles à détecter puisque compliqués à différencier des téléphones mobiles. Il y a aussi tous les drones « faits maison » ou modifiés, qui utilisent des fréquences exotiques. Là encore, il est difficile de les détecter avec des outils radio. Pour les drones programmés avec un plan de vol, qui ne sont pas commandés à distance et qui n’émettent rien, seul le radar permet une détection efficace.

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HM : Le radar couvre-t-il tous les cas ?
EC : Notre système est basé sur la détection radar, mais il accueille des compléments fournis par d’autres moyens de détection. Si nécessaire, on ajoute la détection radio, ou de la détection des drones immatriculés pour trier plus rapidement dans les menaces potentielles, ou les deux en même temps. Nous pouvons aussi ajouter de la détection thermique avec des caméras infrarouge. L’outil est multi capteur, les différentes détections fonctionnent simultanément, avec une fusion des données qui permet une détection très efficace et pertinente.

HM : Le système est donc modulaire… et cher ?
EC : Le système est effectivement modulaire et son prix dépend du site à surveiller,  portée et  environnement, et de la typologie de la menace à prendre en compte. Notre but est de détecter les drones les plus menaçants. Le propos n’est pas pour nous de détecter un pilote de loisir qui vole de manière illégale à la campagne par méconnaissance, par inadvertance, ce n’est pas notre cible. Ces usages représentent, selon la gendarmerie, 95 % de vols. Les pouvoirs publics ont une mission de répression pour gérer ces vols illégaux. Ce sont sans doute ce type de vols qui sont visés par l’appel de marché public récemment publié par le ministère de l’intérieur. Il ne concerne que la détection radio. Le système proposé par CS à vocation, comme vous l’avez compris, de traiter tous les drones y compris les 5 % de vols qui sont des drones  représentant une menace potentielle. Notre but, c’est la prévention de actes malveillants réalisés avec des drones.

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HM : Comment jugez-vous de la dangerosité d’un drone ?
EC : Notre solution basée sur des radars détecte tous les drones, les 95 % et les 5 % dont je parlais, mais nos logiciels de traitement des données, basé sur l’Intelligence Artificielle, sont en mesure d’évaluer la menace en déterminant à quel type de vol on est confronté. Nous avons développé des outils d’aide à la décision basés en particulier sur l’apprentissage, de type Deep Learning. En dernier ressort, avec l’aide de nos informations, c’est toujours l’opérateur qui décide.

HM : Que se passe-t-il dans le cas de zones importantes en superficie ?
EC : Il y a plusieurs solutions. Le plus souvent on crée des bulles en multipliant le nombre de radars et en optimisant leur position. Dans le cas d’un aéroport, la menace vient de l’extérieur, donc nous positionnons notre détection en conséquence. Nous pouvons aussi utiliser du matériel avec une portée plus importante. Notez que nous ne sommes pas concepteurs de radars, nous utilisons le matériel le mieux adapté pour répondre au besoin exprimé par notre client, éventuellement en le modifiant avec l’aide de nos partenaires.

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HM : L’étude des données est développée en interne ?
EC : Oui, toute l’intelligence du système est dans ce qu’on appelle le C2, Command and Control. Il s’agit de temps réel, tout doit aller très vite. Quand on pense être confronté à une menace, il faut réaliser une classification pour la qualifier. Il y aussi une fusion des pistes, c’est-à-dire que nous mutualisons les informations de capteurs différents. Le but est de proposer à l’opérateur suffisamment d’informations pour qu’il soit en mesure de prendre une décision en quelques secondes.

HM : Jusqu’à quelle taille de drone la détection fonctionne-t-elle ?
EC : Tout dépend de la surface à surveiller et des radars utilisés. Disons que la détection avec des micro drones, de type Mavic de DJI, fonctionne à une distance de 1500 mètres. Pour des drones plus petits ou à un distance plus grande, l’écho radar est trop faible.

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HM : Est-ce que cela devenir un souci avec la miniaturisation des appareils ?
EC : Nous nous intéressons pour le moment aux micro et mini drones. Les micro peuvent faire moins de 800 grammes, mais leur envergure est de 20 à 30 cm. Les mini drones sont un peu plus imposants. On ne nous demande pas de détecter les nano drones pour le moment dans la mesure où ils ne sont pas en mesure d’emporter une charge utile jugée inquiétante, mais cela viendra.

HM : Les nano drones comportent un risque « d’attentat média »
EC : Oui, ces appareils constituent une menace en termes de média, de communication. Mais nous ne sommes pas sur cette gestion du risque, ce n’est pas la demande de nos clients. Nous surveillons aussi la menace que constituent les essaims de drones. Pour le moment, la technologie « essaims de drones » n’est pas complètement prête, elle sera difficile à mettre en œuvre, mais cela va arriver, et donc nous travaillons sur le sujet.

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HM : Quelles informations fournissez-vous à un opérateur ?
EC : A partir de la position du drone, sa vitesse, son cap et de l’environnement, on est capable d’évaluer la dangerosité du vol et de fournir cette information. S’il y a plusieurs appareils en l’air, on peut déterminer une priorité pour que l’opérateur concentre son action de neutralisation. Ce sont des informations volontairement simples, puisque l’opérateur n’est pas forcément un spécialiste des drones et dispose de très peu de temps pour réagir.

HM : Quelle est l’ordre d’idée du temps de réaction ?
EC : La neutralisation est l’étape qui intervient après la détection et l’identification de la menace. Nous estimons que la durée entre la détection et la neutralisation ne doit pas être supérieure à 30 à 40 secondes. Cela doit très rapide. C‘est pourquoi nous avons développé des systèmes experts et de l’intelligence artificielle pour fournir l’aide au décisionnel.

HM : Comme par exemple ?
EC : Si nos outils ont détecté un drone qui n’est pas piloté avec une radiocommande, ce n’est pas la peine de mettre en œuvre un brouillage. S’il repose sur le GPS, on peut en revanche tenter de brouiller la réception satellite. S’il n’y a pas de moyens de neutralisation électroniques, on peut suggérer des outils plus mécaniques comme l’usage d’un filet. Tout cela doit être décidé en 40 secondes au maximum.

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HM : Il y a plusieurs méthodes de neutralisation ?
EC : Oui, nous avons classé les outils de neutralisation en deux catégories. Il y a le « softkill » comme le brouillage ou la prise de contrôle, et le « hardkill » qui consiste à détruire. Le choix dépend bien évidemment de l’environnement, on ne procède pas de la même manière en milieu urbain, aux abords d’un aéroport, sur un site industriel, sur une prison, etc. Le brouillage concerne les liaisons GSM et satellite, large bande comme le wifi et d’autres plages de fréquences.

HM : Les outils fonctionnent à quelle distance ?
EC : Les fonctions de brouillage peuvent généralement fonctionner dès la détection. Les autres solutions ne sont opérationnelles qu’à plus courte distance. C’est le cas d’une catégorie intermédiaire qui consiste à capturer les drones avec des lance-filets. Elle permet éventuellement de récupérer le drone.

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HM : C’est de la très courte distance !
EC : Oui, c’est une solution qui fonctionne à courte distance depuis le sol, mais dont la portée peut être augmentée avec drones lanceurs de filets. Ou d’autres charges embarquées, comme un système de brouillage. La solution peut aussi consister à percuter le drone malveillant avec un autre drone. Ce sont des solutions en développement chez CS, qui devraient être opérationnelles courant 2019.

HM : Il existe des solutions plus futuristes ?
EC : Nous nous intéressons à des outils de neutralisation avec un laser. Là encore, la portée est très réduite, à moins d’utiliser du matériel très onéreux et qui n’est sans doute pas assez efficace. La dernière piste en développement est le HPM, une impulsion électromagnétique destinée à perturber ou détruire l’électronique du drone. Comme pour le laser, la portée est faible.

14 juillet 2018 aux Tuileries. Crédit photo : CS

HM : Il y a des effets collatéraux à la neutralisation ?
EC : Evidemment. C’est la raison pour laquelle notre système ne décide pas, il propose à l’opérateur, et c’est l’humain qui prend la décision. Il ne faut pas oublier que c’est toujours aux autorités que revient la décision de neutralisation, notamment pour le brouillage, puisque que la réglementation est très variable selon les pays et les utilisateurs.

HM : Pouvez-vous parler de cas clients ?
EC : Nous travaillons avec le Préfecture depuis maintenant 4 ans sur plusieurs événements, comme l’Euro 2016, la Ryder Cup 2018, les 14 juillet 2017 et 2018. Nous avons réalisé un système pour les forces armées suite à un contrat remporté fin 2017 face aux grands industriels français. L’une des forces de notre outil est d’être générique, il peut être utilisé en métropole pour surveiller des événements, mais aussi être déployé sur le théâtre d’opérations militaires.

HM : Comment est commercialisé votre système ?
EC : Il est proposé à l’achat, c’est la solution qu’a choisie la Préfecture, qui le déploie au besoin. C’était le cas pendant la Ryder Cup et le défilé du 14 juillet par exemple. Nous proposons aussi désormais une offre avec location du système pour des événements ponctuels. Cela s’entend clés en main avec des opérateurs, dans la mesure où la formation du personnel chez le client serait trop longue et trop coûteuse.

HM : Votre solution est-elle accessible pour les prisons ?
EC : Nous avons déployé notre système pendant plusieurs mois dans un établissement pénitentiaire. Les principales craintes, dans les prisons, sont les livraisons d’armes et la possibilité de diversion pour faciliter une tentative d’évasion. C’était une expérimentation très intéressante qui a sensibilisé l’administration, notamment en démontrant que certains drones ne seront pas détectables par leurs émissions radio. Mais son coût rend notre système difficilement accessible pour un déploiement sur l’ensemble établissements pénitentiaires.

HM : A l’occasion d’événements comme le 14 juillet, la Ryder Cup, l’Euro 2016, avez-vous détecté des intrusions ?
EC : Je vais prendre un joker pour cette question ! Ce que je peux vous dire, c’est que nous avons détecté des vols pendant l’expérimentation dans un établissement pénitentiaire. A l’évidence, d’ailleurs, il s’agissait de provocation.

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HM : Allez-vous proposer des outils plus abordables à l’avenir ?
EC : Oui, nous allons certainement répondre à des demandes pour un coût plus faible. Nous savons que les organisateurs d’événements privés ne pourront pas dépasser un budget de quelques dizaines de milliers d’euros. Puisque notre système est modulaire, il est possible de supprimer la détection radar et de la remplacer par une détection radio.

HM : Avez-vous d’autres axes de développement ?
EC : Nous sommes maitre d’œuvre sur Aladdin, qui est un projet de R&D dans le domaine de la lutte anti-drone, cela nous permet d’avoir une vue pertinente sur tout ce qui existe dans le domaine. Nous avons un contrat semblable au Canada pour des études liées aux prisons. Il n’est pas question pour eux de se limiter à des solutions de détection radio, ils désirent une détection réellement efficace.

Le site officiel dédié à la solution Boreades de CS se trouve ici.

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