Raùl Pateras Pescara de Castelluccio

 Raúl Pateras Pescara en 1922
Raúl Pateras Pescara en 1922

L’histoire retient certains noms, plus que d’autres. Connaissez-vous le Marquis Raùl Pateras Pescara de Castelluccio ? Sans doute pas, à moins d’avoir feuilleté les dictionnaires Larousse d’avant-guerre (la seconde) ou d’avoir attendu le métro station Argentine à Paris… Et pourtant ! Le Marquis, né en 1890 en Argentine, était un autodidacte, passionné de mécanique et d’aéronautique. Les deux domaines lui doivent beaucoup ! Voici une partie peu connue de l’histoire des hélicoptères…

De Buenos Aires à Paris

Né de parents franco-italiens, Raùl Pateras Pescara ne reste en Argentine que jusqu’à l’âge de 8 ans. Il rejoint Nice où il fait ses études et se passionne pour la mécanique et l’aviation, puis Paris où il étudie le droit. En 1911, sa passion pour l’aviation lui fait pousser la porte de la soufflerie de Gustave Eiffel pour tester un hydravion de sa conception. Mais son projet, c’est la mise au point d’un appareil à décollage vertical, un hélicoptère – concept inventé par Ponton d’Amécourt. La première guerre mondiale lui offre une opportunité de manière très inattendue. Chargé de concevoir un dirigeable bombardier automatique pour le compte du ministère de la Guerre français, il est accusé d’espionnage et interné pendant une centaine de jours, puis déclaré innocent et libéré. Ce séjour forcé lui a permis de plancher sur son projet d’hélicoptère. Son rêve ? Un engin capable de décoller et se mouvoir à volonté, de réaliser des stationnaires, et même de se poser tant bien que mal en cas de panne de moteur.

Etre un pionnier

systeme-pescara-01Raùl Pateras Pescara gagne Barcelone en 1916 où il fonde la société « Helicopteracion Pescara » et dépose plus de 40 brevets jusqu’en 1923. Le 21 février 1920, le brevet « Hélicoptère rationnel » décrit un engin à rotors contre-rotatifs animés à 1980 tours par minutes par un moteur Hispano de 45 CV. Mais l’engin est de puissance insuffisante pour faire décoller son propre poids et celui de son pilote. Qu’à cela ne tienne, il continue à travailler, notamment sur un système d’auto-rotation qui permet en théorie de se poser en conservant le contrôle de l’appareil lors d’une panne de moteur. Le procédé est remarqué, notamment par l’Académie des Sciences française, qui décrit en 1921 les expériences menées par Raùl Pateras Pescara. Dans les documents figurent la mention « voilure tournante », qui est toujours utilisée pour décrire les hélicoptères par opposition aux engins dont la voilure est fixe (des ailes, par exemple). Ses travaux se concentrent sur la puissance développée pour décoller et les outils pour la mettre en œuvre.

Les fondamentaux de l’hélicoptère

Pescara_helicopers
Les Pescara 2R et 2F

Raùl Pateras Pescara imagine un système de commandes, qui repose sur des pales à pas variable : la montée et la descente sont assurées par la variation du pas des hélices, et non plus sur leur vitesse de rotation. Ce sont des techniques qui restent à la base des hélicoptères contemporains ! Le modèle Pescara 2R est finalisé en 1922 : il s’appuie sur 2 x 6 pales biplans de 40 cm de largeur, pour un diamètre de 6,40 mètres, une nacelle de 5 mètres de longueur, une hauteur totale de 3,2 mètres et un poids en charge de 800 kilos. Le 2F est réalisé en 1923, le 3F en 1925 (un exemplaire se trouve exposé au musée de l’Air et de l’Espace du Bourget depuis 2007) et le 4S en 1931, tous sous l’appellation « Système Pescara ». C’est Raùl Pateras Pescara qui s’improvise pilote d’essai de ses modèles… en habit de ville, conservant son manteau, ses guêtres… et son chapeau !

De vrais vols !

Pescara 2F
Pescara 2F

Le pilotage est opérationnel, le Marquis parvient à décoller, suivre une ligne droite, effectuer un virage à 90°, réaliser des stationnaires à 1 ou 2 mètres de hauteur pendant 2 minutes. Il réussit notamment une rotation à 360° ! Ses vols sur le champ de manœuvres de l’armée à Issy les Moulineaux (plaine de Bagatelle) dépassent le quart d’heure, un record. Le premier, annonceur d’une série qui en comportera bien d’autres. L’un des challenges du moment, c’est un prix créé le 1er mars 1923 par l’Aéro-club de France doté de 10 000 francs. Ce qu’il faut accomplir ? Un vol en hélicoptère d’une distance en circuit fermé (aller-retour) de 1 kilomètre à au moins 1 mètre de hauteur. Dans la pratique, l’hélicoptère doit décoller pour rejoindre un poteau situé à 500 mètres de distance, le contourner et revenir se poser sans encombre à son point de départ, dans un cercle de 10 mètres de rayon. L’épreuve doit se tenir en France, mais elle est ouverte à tous… ou presque : sont écartés les concurrents de pays ayant été en guerre avec la France en 14-18.

Frustration

Les vols du Pescara 3F à Issy-les-Moulineaux
Les vols du Pescara 3F à Issy-les-Moulineaux

Le Marquis se distingue avec un premier vol de 500 mètres le 29 novembre 1923. Le 16 janvier suivant, il dépasse le kilomètre avec un vol de 1160 mètres réalisé en 8 minutes et 13 secondes. Mais pas en circuit fermé. Il y parvient le 29 janvier, mais le vol n’est pas homologué : la béquille arrière touche le sol alors que l’hélicoptère est déséquilibré par une rafale de vent. Le prix lui échappe. L’ingénieur Etienne Oehmichen réussit à son tour à parcourir le kilomètre en circuit fermé, le 4 mai 1924, avec l’engin n°2. Un appareil qui s’éloigne de la définition d’hélicoptère. C’était d’ailleurs un… quadricoptère qui ressemble fort aux multirotors radiocommandés du moment !

Oehmichen a-t-il remporté le prix de 10 000 francs ?

record du monde en Record  du monde avec 736 mètres en 4 minutes et 11 secondes
Record du monde en Record du monde avec 736 mètres en 4 minutes et 11 secondes

Les spécialistes sont en désaccord. Dans le documentaire « Les incroyables machines volantes du professeur Oehmichen« , diffusé en 2009 sur Arte, il est dit que l’engin d’Oehmichen a bouclé son kilomètre : « le triomphe est total » et il « empoche la prime de 10 000 francs« . Mais le livre « Le vol vertical » du Lieutenant Colonel Lamé, en 1934, indique le contraire : « aussi ce prix n’a-t-il pu être attribué à Oehmichen« . Car si la distance d’un kilomètre a bel et bien été franchie, le vol était triangulaire, alors qu’il fallait un aller-retour… Qui plus est, dans les archives de la Fédération Aéronautique Internationale, on ne trouve aucune trace de ce prix. Alors qui faut-il croire ? La préférence nationale a peut-être fait pencher la balance en faveur d’Etienne Oehmichen. Piqué au vif, Raùl Pateras Pescara bat le record du monde le 18 avril 1924 en parcourant 736 mètres en 4 minutes et 11 secondes, balayant les records précédents établis par Etienne Oehmichen. Il a continué à piloter jusqu’en 1926… mais son record a perduré jusqu’en 1930 !

Retour en Espagne

 Le Pescara 4S
Le Pescara 4S

Il crée une usine pour produire ses engins. Le modèle 4S sort en 1931 : c’est un appareil de 400 kilos seulement, qui se révèle très maniable et capable de voler avec des vents de 30 km/h. Les vols peuvent atteindre 800 mètres à une hauteur de 8 mètres, mais ils doivent être interrompus pour refroidir le moteur. Raùl Pateras Pescara imagine un appareil plus compact en 1921, « l’hélicoplane », basé sur un double rotor contre rotatif. Son idée sera reprise par Igor Sikorsky, pour le modèle X2. Son premier a lieu le 27 août 2008, soit 87 ans plus tard ! Le KA-52 Alligator du constructeur russe Kamov est un appareil fonctionnant sur le même principe, que l’on a pu voir au salon du Bourget en 2013 (voir ici). On retient aussi l’invention du « coup de frein Pescara« , un système qui permet à l’hélicoptère de ne pas tomber comme une pierre en cas de panne de moteur. Le principe, simplifié, est de débrayer les hélices pour qu’elles continuent à tourner. Les prémices, donc, de l’autorotation qui est encore utilisée de nos jours !

La suite de l’histoire ?

Définition du mot Hélicoptère, telle que l'on pouvait la trouver dans le Larousse entre 1922 et 1944
Définition et illustration du mot Hélicoptère, telle que l’on pouvait la trouver dans le Larousse entre 1922 et 1944

L’aventure industrielle du Marquis a perduré en Espagne, puis au Luxembourg et sur la côte d’Azur. Associé avec son frère Enrique, Raùl Pateras Pescara se lance dans l’industrie automobile, en produisant notamment la « Nacional Pescara », une voiture qui s’est distinguée sur les circuits automobiles. Ses travaux sur l’éjection de l’air des rotors coaxiaux des hélicoptères le mènent à concevoir des moteurs à pistons libres, puis des auto-compresseurs. Il invente même une locomotive à turbine à gaz ! Il s’éteint à Paris en 1966, à l’âge de 76 ans.

Son fils, Christian de Pescara, est tout naturellement devenu ingénieur… et inventeur, sur les traces de son père. Il a effectué un travail de recherche et de mémoire qui l’a conduit à compulser des documents qui se trouvaient un peu partout sur la planète. Le résultat se trouve condensé dans un site web dense, illustré, à consulter ici. Pour aller plus loin encore, il propose un livre à consulter librement sur Calameo (ici), intitulé « La vie extraordinaire du Marquis Raùl Pateras-Pescara de Castelluccio (1890 – 1966)« . Enfin, un ouvrage consacré au Marquis est en préparation… Merci à Christian de Pescara pour avoir pris le temps de répondre à mes questions, et contribué à la réalisation cette petite note sur l’histoire de l’hélicoptère !

La devise de la famille ? « Rien n’est plus beau que la grandeur nécessaire ».

Une vidéo Pathé Gazette (de British Pathé).

Et une vidéo Pathé Gazette (de British Pathé). Celle-ci orthographie mal Pescara (avec 2 « r ») et pioneer (écrit « poineer »).

 

5 commentaires sur “Raùl Pateras Pescara de Castelluccio

  1. Merci Fred pour ce rappel historique passionnant. Il n’est pas inutile de savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va !

    « Rien n’est plus beau que la grandeur nécessaire » Belle formule. Einstein avait dit quelque chose de comparable : « Construisez les choses aussi simplement que possible » (make it as simple as possible).

  2. dis donc les pâles ne tournaient pas bien haut au dessus de sa tête !

    merci pour ce petit cours fort intéressant Fred 😉

  3. Texte intéressant accompagné de deux vidéos démontrant les progrès qui sont fait par mon père en pilotage.
    Enfin un film de 1924 qui montre le Pescara 2F muni du radiateur plat. C’est l’appareil des records.
    La F.A.I. crée la catégorie G pour hélicoptère à partir du premier avril 1924. Si nous écoutons certains raconteurs d’histoires les performances avant cette date ne peuvent être pris en compte comme celle du 16 janvier 1924 où mon père aux commandes de cet appareil a fait 1160 mètres. Il est vrai qu’il arriva en France en 1898 à l’âge de huit ans. C’est à Barcelone qu’il concrétisa ses premier appareils et une des premières traces annonçant son déterminisme en tant que créateur et inventeur d’appareils militaires et industriels à s’occuper d’hélicoptères se trouve dans « HERALDO MILITAR » du 14 novembre 1918, des de Barcelona « EL helicoptero » Ce film aurait été bien dans le film « Les incroyables machines volantes du professeur Oehmichen »Il est facile de comprendre pourquoi?

  4. Un livre: La vie extraordinaire du Marquis Raùl Pateras-Pescara de Castelluccio » Un livre de 180 pages disponible sur http://editions-scripta.com/catalogue-des-livres-en-vente/?logout=1
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    Des documents de l’époque permettant d’éclairer ceux qui font des romans et ne respectent pas l’Histoire. Une oeuvre en trois grandes période.
    1°) 1911 – 1936. Pionnier de l’Aéronautique, l’Hydrtorpilleur Pateras-Pescara, les hélicoptères: 1F à Barcelone(1919-1921) Pescara 2R (1922 à Issy-les Moulineaux) Pescara 2F (1923 -1924 – 16 janvier 1924, le kilomètre est fait 1160 m; Le record du monde de distance en ligne droite le 18 avril 1924) ; Pescara 3F construit en 1925 est essayé en 1926 à Saint Raphaël et enfin le Pescara S4 à Barcelone (1930 – 1935)
    2°) Les voitures Nacional Pescara. Grand prix d’Europe de la montagne en 1931.
    3°) Les auto-compresseurs Pescara à Pistons-Libres en 1936 et le premier générateur à pistons-libres à L’Alsthom Belfort. L’industrialisation du GS 36 par la Sigma. Les nouvelles techniques.
    Conclusion: Rien n’est plus beau que la grandeur nécessaire

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